Chef d’oeuvre considéré comme l’un des premiers films documentaires de l’histoire du cinéma, Nanook of the North a été tourné au Canada, à Port Harrison (aujourd’hui Inukjuak) dans la Baie d’Hudson, au début des années 1920. Son réalisateur, Robert Flaherty, avait déjà mené plusieurs expéditions d’exploration dans le Grand Nord canadien. Il filme ici la vie quotidienne du chasseur Nanouk et de sa famille, de la vente des fourrures à la chasse à l’otarie, la pêche en mer, en passant par la construction de l’igloo…
Ci-dessous une présentation du film (6 minutes) (extraits de Robert Flaherty et l’invention de la mise en scène documentaire, 1994)
Robert Flaherty présente, en plusieurs cartons insérés au début, la genèse de ce film. Il insiste sur sa rencontre avec Nanouk et sa famille, leur implication dans le tournage (les rushs furent projetés au fur et à mesure du tournage). Flaherty présente Nanouk comme « the kindly brave, simple Eskimo » et apprend au public qu’il est mort de faim deux ans après le tournage.
Sur l’affiche ci-dessous et au tout début du film, on repère que le film a été produit avec le financement de Révillon Frères, une grande compagnie de fourrures qui, au début du 20ème siècle, gérait de nombreux postes de traite de fourrure au Canada, mais aussi en Sibérie, et les commercialisait en Amérique et en Europe. C’est sur le lieu d’un de ces postes, Port Harrisson, au bord de la baie d’Hudson, que le tournage de Nanouk a eu lieu.
Pour filmer le quotidien de ses personnages, Robert Flaherty fait construire un demi-igloo spécifique qui lui permet d’installer sa caméra et d’avoir plus de lumière.
Extraordinaire témoignage ethnographique, Nanouk l’Esquimau a soulevé dès sa sortie des questions sur les méthodes, les images et la réalisation de ce qu’on n’appellait pas encore « documentaire » ou « cinéma du réel ». Nanouk et sa famille jouent leur propre rôle, reconstituent avec Flaherty les scènes de leur vie quotidienne, qui n’en sont pas pour autant moins « vraies » ! Le premier « documentaire-fiction » de l’histoire du cinéma.
- La fiche de présentation du film réalisé pour « Ecole et cinéma », par l’académie de Poitiers et sur le site cafédesimages.
- Le site du ciné-club de Caen
Nanouk l’esquimau est un film historiquement important : s’il participe, comme le rappelle André Bazin dans son article « Le cinéma et l’exploration », à un filon de l’époque que le critique nomme les films « blancs » et qui rencontre le succès à la suite du film d’Herbert G. Pounting, L’éternel silence, « Nanouk de R. Flaherty demeure le chef d’œuvre. »
De fait, le film pose les bases du « cinéma-vérité » (repris plus tard par Jean Rouch, Pierre Perrault ou, sur des modes différents, Joris Ivens et plus récemment Denis Gheerbrant ou Lisandro Alonso dans son film La Libertad) et, plus spécifiquement, du cinéma ethnographique. Nanouk reste par ailleurs un film de référence, souvent cité par Godard, peu apprécié par Truffaut qui, pourtant, selon Rivette, réalisera avec Les 400 coups, un film ressemblant drôlement à du Flaherty, analysé par Bazin afin d’appuyer sa théorie du « montage interdit « , pris enfin comme exemplaire de la structure des films de l’image-action (Situation – Action – Situation) par Gilles Deleuze.
Le documentaire : entre réalité et fiction…
Godard raconte : « Quand on lit le récit du tournage de Nanouk de Flaherty, qu’on prend pour un documentaire, on apprend que Flaherty a payé ses Esquimaux, il s’est disputé avec eux, il les a forcés à pêcher du poisson tous les jours alors qu’ils n’en avaient pas envie, bref, il a fait une équipe de cinéma avec eux et ce fut du coup un ethnologue formidable. »
Ces propos anecdotiques laissent entendre que la vérité documentaire ne peut pas s’atteindre par un rapport direct de la caméra à la réalité, rapport toujours illusoire, mais par un travail de cinéma, de mise en scène et de choix qui organise le propos. De fait, si Nanouk l’Esquimau s’attache à retracer la vie des Esquimaux, parfois par des panneaux très didactiques, si Flaherty travaille au plus proche du geste quotidien (la chasse, la construction de l’igloo, la vie familiale, la lutte contre le milieu), enfin si certains plans sont réalisés clairement en prise directe sans travail de mise en scène immédiat (on pense notamment aux visages souriants regardant la caméra), il n’empêche que le travail de fiction n’est jamais loin.