Joe Sacco – Payer la terre

Joe Sacco, dessinateur et journaliste américain, décrit dans Payer la terre l’histoire des populations amérindiennes des Territoire du Nord-Ouest, au Canada : les Déné. Un récit graphique magistral, publié par les éditions Futuropolis et la revue XXI en janvier 2020.

En voici la présentation par la journaliste de France Inter Laetitia Gayet (extraits), ainsi que des extraits d’une interview de Joe Sacco au Figaro en janvier 2020.

La chronique de Laetitia Gayet  :

Extraits :

Joe Sacco n’est pas un auteur comme les autres, c’est un journaliste qui dessine. Après Palestine et Goradze sur la guerre en Bosnie, il livre ici, un récit sur les indiens du Canada. Un retour aux sources, où le terme « payer la terre » prend tout son sens.

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Payer la terre, Joe Sacco, Editions Futuropolis, 2020, Couverture @ Joe Sacco

Joe Sacco sépare la couverture de son livre en deux parties. En haut de la couverture, couleur sépia, couleur passée, des peuples autochtones. On les voit couper du bois pour faire du feu. En bas, grisé noir, du matériel d’extraction. La nature, sa simplicité et la complexe industrie.

Comment les deux cohabitent aujourd’hui ?

C’est tout le propos de l’enquête de Joe Sacco. Il emmène le lecteur à la découverte de ceux dont on ne parle jamais mais qui ont des choses à dire.

Je suis venu au monde dans un bateau en peau d’orignal

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Payer la terre, Joe Sacco, Editions Futuropolis, 2020, extrait @ Joe Sacco

Paul Andrew est un homme âgé. Il décrit ce qu’était sa vie d’enfant. Habillé chaudement, la pêche, la chasse, les chiens de traîneaux, la vie en communauté où chacun oeuvre pour le bien-être de l’ensemble. C’était avant, quand la notion de propriété ne voulait pas dire grand chose à ces hommes des bois. La nature est restée en partie. Mais les chiens de traîneaux ont été remplacés par des motos-neige. Les machines sont arrivées. Les ambitions pétrolières et gazières ont transformé la communauté et les hommes ont quitté la forêt.

Joe Sacco reprend l’histoire des premiers peuples, la colonisation, le besoin d’argent, les combats aussi pour faire reconnaître ces communautés dans leur bon droit. Pas simple de s’y retrouver, mais on avance avec lui. On comprend aussi le mal qui a été fait. Comment les traditions ont disparu.

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Payer la terre, Joe Sacco, Editions Futuropolis, 2020, extrait @ Joe Sacco

Ma mère nous a emmené à la plage avec mes frères. Elle pleurait.

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Payer la terre, Joe Sacco, Editions Futuropolis, 2020, extrait @ Joe Sacco

Paul Andrew comme 150.000 de ses congénères ont été retirés à leurs parents pour aller à l’école. Là bas, ils ont été séparés, rasés, battus, évangélisés. Ils n’avaient plus de prénom, juste des numéros. Ces pensionnats ont duré jusque dans les années 90.Le gouvernement canadien et l’Eglise ont été reconnus coupables de génocide culturel en 2015. Un bien maigre lot au regard des conséquences.

Nombreux se sont réfugiés dans l’alcool et les drogues, ont reproduit les horreurs vécues au pensionnat dans leur famille. Aujourd’hui, les anciens tentent de redonner de la chair à leur peuple. Ils essaient de trouver le bon compromis aussi avec l’industrie pétrolière qui déforme les paysages et le besoin d’argent pour vivre.

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Payer la terre, Joe Sacco, Editions Futuropolis, 2020, extrait @ Joe Sacco

(…)

Payer la Terre chez Futuropolis est passionnant et donne à réfléchir sur ce que nous sommes vraiment.

Interview  de Joe Sacco publiée dans Le Figaro, le 09 février 2020 , extraits :

LE FIGARO. – Pourquoi raconter l’histoire des Dénés, ces autochtones du Nord-Ouest canadien?

Joe SACCO. – Je voulais raconter une histoire sur le climat. Pour moi, c’est une nécessité car la catastrophe est imminente. Mais je voulais la raconter de façon oblique. Le changement climatique est lié à l’extraction de ressources. Or les ressources sont souvent extraites à la périphérie et c’est généralement les populations autochtones qui sont les plus affectées. À l’origine, je me disais qu’il serait intéressant de faire une étude comparative entre le Canada, l’Inde et peut-être l’Amérique du Sud. Le Canada était mon premier choix car je pensais que c’était la manière la plus simple d’aborder le sujet… Je me trompais! On se rend là-bas en tant qu’Occidentaux avec beaucoup d’idées préconçues. (…)

Les Dénés ont une relation particulière avec la terre… Pourriez-vous l’expliquer en quelques mots?

Leur relation avec la terre définit pratiquement ce qu’ils sont, c’est impressionnant. En tant qu’Occidentaux, nous considérons la terre comme une propriété, qui peut être divisée en parcelles et vendue. Eux entretiennent une relation spirituelle avec elle. Dans notre tradition où tout a une base légale, c’est très inhabituel. Il y a beaucoup à apprendre de cela, particulièrement dans notre contexte de changement climatique. Vous savez, quand ils vont dans la nature, ils font un cadeau à la terre, avant de commencer la chasse ou le montage d’une tente. C’est un hommage très symbolique: un sachet de thé, une pièce de monnaie ou une cigarette. Si on veut vraiment résoudre cette crise du climat, on doit arrêter de penser comme des Occidentaux et laisser des pensées indigènes pénétrer dans notre cerveau.

La communauté est tiraillée entre leur mode de vie traditionnel et le mode de vie occidental. Comment résumeriez-vous ce dilemme?

Je ne veux pas parler à leur place, je ne suis pas leur porte-parole, mais je vais vous dire comment je perçois les choses. Si vous allez dans les Territoires du Nord-Ouest, vous rencontrerez des gens de mon âge – j’ai presque 60 ans maintenant – qui, enfants, passaient la majorité de leur temps dans la brousse. Quand ces autochtones ont été en quelque sorte intégrés de force dans des communautés d’Occidentaux, ils ont perdu leur capacité à survivre dans la nature, même s’ils vont toujours chasser. Les écoles les ont coupés de la nature, de la compréhension qu’ils en avaient, de leur capacité à y vivre comme avaient pu le faire leurs parents. Et que faites-vous dans ces communautés? En dehors de la nature, comment gagner de l’argent? Il y a deux méthodes: toucher de l’argent du gouvernement, l’allocation-chômage ou devenir un travailleur salarié. Et les seuls boulots que vous allez trouver sont liés à l’extraction de ressources.

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Payer la terre, Joe Sacco, Editions Futuropolis, 2020, extrait @ Joe Sacco

Je pensais que les autochtones seraient forcément contre l’extraction des ressources. Dans beaucoup de situations, c’est le cas, mais dans d’autres, c’est plus ambivalent. Même ceux qui disent «nous devons nous développer, on a besoin d’argent, on vit dans la société maintenant» respectent la terre. Ils auront toujours une meilleure conception de la terre que nous. C’est très compliqué, très nuancé, avec des conflits à l’intérieur même des communautés.

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