Un très bel article d’un grand géographe spécialiste du Brésil, Hervé Théry, à lire ici sur Géoconfluences. Extraits de l’introduction :
« Il est parfois donné à des géographes de voir un territoire se transformer sous leurs yeux, changer profondément entre le début et la fin de leur carrière, et c’est la chance que j’ai eue en étudiant depuis près de cinquante ans l’État de Rondônia, en Amazonie brésilienne.
C’est là que j’ai fait ma thèse en 1974-1976, j’y suis revenu de multiples fois depuis lors et compte bien le faire à nouveau à l’avenir, pour quelques années encore. J’y ai vu la forêt amazonienne reculer, mais aussi se mettre en place une vaste zone de production agricole, naître des villes, s’ouvrir des accès vers les pays voisins (Bolivie et Pérou) et le temps passe si vite dans cette région que ma thèse a été traduite et publiée comme un document déjà historique, 38 ans après sa rédaction. Dans la courte bibliographie finale, les lecteurs intéressés trouveront des références à d’autres publications (presque toutes accessibles en ligne) échelonnée au long de quatre décennies. Elles leur permettront, s’ils le souhaitent, d’en savoir plus car ici, en fonction de l’inévitable limitation de l’espace disponible dans un article, j’ai donné la priorité aux images.
Pour ne pas entrer dans les controverses entre partisans du développement et de la préservation, j’ai choisi de mettre l’accent sur ce que l’IBGE (Institut Brésilien de Géographie et Statistique), reprenant un mot du vocabulaire général de la géographie appelle l’« anthropisation » d’un territoire, c’est-à-dire sa transformation par l’action humaine, sans parler de « mise en valeur » ou de « dévastation ». On pourrait fort bien utiliser l’une ou l’autre des deux expressions dans le cas du Rondônia, en insistant sur la création d’espaces productifs, de richesses, de voies de communication, ou au contraire sur les milliers de kilomètres carrés de forêts denses abattus et brûlés et sur la contraction des espaces laissés aux populations indigènes et traditionnelles. Je me garderai donc de jugement de valeur et me concentrerai sur les transformations spatiales, sur le grand retournement qui a transformé un territoire amazonien organisé autour du réseau fluvial (et d’une voie ferrée), vers le nord, en un État intégré au reste du Brésil par un réseau de routes, vers le sud.
Le texte qui suit analyse d’abord l’intégration du Rondônia au territoire national brésilien, puis le mode d’occupation par lequel il est passé, avant d’analyser une série de situations locales en s’appuyant sur des images satellitaires recueillies sur le site Google Earth, qui montre leur évolution de 1984 (ou parfois 1975) à 2020. »