A 245 km au sud du Caire, les carrières de calcaire d’Al Minya présentent des paysages d’une blancheur spectaculaire, mais où les mineurs travaillent dans des conditions souvent effroyables. Les photographies de Sidney Léa Le Bour, publiées dans le magazine Géo en juin 2019, rendent compte de ces « paysages manufacturés » : à découvrir avec le reportage « En Egypte, dans l’enfer blanc des carrières de calcaire d’Al Minya ». Voir toutes les photos ici.

Des températures pouvant atteindre 60° degrés. Un paysage d’une blancheur aveuglante. Pas un souffle d’air. Et au milieu de ce décor dantesque, d’énormes scies prêtes vont et viennent, toujours prêtes à happer le bras ou la jambe de l’ouvrier inattentif. Le sort des esclaves qui construisirent les pyramides des pharaons était à peine plus enviable que celui des carriers qui extraient le calcaire autour d’Al-Minya, capitale de la Moyenne-Egypte, à environ 245 km au sud du Caire. La Française Sidney Léa Le Bour a photographié ces mineurs qui font, pour un salaire de misère, sans doute l’un des métiers les plus périlleux au monde.

Interviewée par le magazine Géo, la photographe française témoigne plus en détail ici, voici quelques extraits :
GEO : Les carrières de calcaire d’Al-Minya sont surnommées l’Enfer Blanc. Méritent-elles ce surnom ?
Sidney Léa Le Bour : Blanc, c’est une évidence. La poussière qui émane des carrières recouvre tout. Le résultat, c’est un paysage immaculé, lunaire, éblouissant, sans végétation et sans aucun élément d’architecture. Quant à l’enfer… Au fond des fosses, les hommes travaillent avec des protections dérisoires : des lunettes de soleil pour ne pas être aveuglés par la réverbération pendant la journée et un foulard sur le visage pour éviter de respirer trop de silice. Ils ne portent ni gants, ni bottes. Certains sont pieds nus et les accidents sont fréquents. Ils sont nombreux à avoir laissé des doigts, un bras ou une jambe sous une lame lancée à pleine vitesse, quand ce n’est pas la vie. Sur mes photos, vous remarquerez des câbles électriques qui courent un peu partout sur le sol. Certains sont dénudés et provoquent des électrocutions. Au moment où j’ai effectué mon reportage – une période relativement clémente –, les températures oscillaient entre 25 et 30 degrés pendant la journée dans les excavations où, bien sûr, pas un souffle d’air ne circule. Imaginez en plein été, quand elles atteignent le double ! Et puis, il y a le bruit, le hurlement des scies qui fonctionnent en permanence. Impossible de communiquer sans s’époumoner. Oui, je crois qu’on peut appeler cela l’enfer…
Qui sont les ouvriers qui travaillent dans ces conditions épouvantables ?
Des victimes de la crise économique dramatique dans laquelle l’Egypte a plongé après la révolte de 2011. Al-Minya est située à 278 kilomètres au sud du Caire, dans une région où il n’y a quasiment pas de tourisme. Quant à l’industrie, elle n’est pas sinistrée, elle est inexistante. Le seul gisement d’emplois, ce sont ces carrières de calcaire. Alors chaque matin, des minibus arrivent à Al-Minya. Des dizaines et des dizaines d’hommes en descendent. Vêtus de survêtements ou de djellabas, ils discutent, s’interpellent, mangent des falafels ou sirotent un thé en attendant les pick-up qui viennent les chercher pour les conduire aux carrières. Ce sont des personnes de tous âges, de tous niveaux. Y compris de jeunes diplômés qui ne trouvent pas de travail ailleurs. Les postes sont attribués selon l’expérience dans la carrière. Les plus chevronnés sont affectés au maniement des scies. Les plus jeunes dégagent les briques après le passage de la lame. Ils sont payés 6 ou 7 dollars la journée, du lever du jour à 14 heures, lorsque le soleil devient brûlant et la chaleur insupportable. C’est toujours mieux rémunéré que le travail aux champs.

Le calcaire est destiné à être vendu soit sous forme de briques, soit sous forme de poussière. Qui achète cette production ?
Les briques servent pour les constructions locales. La poudre de calcaire, elle, est mise en sacs et part à l’exportation : elle est utilisée dans la cimenterie, par les laboratoires pharmaceutiques, ou encore dans la teinturerie. Vous en utilisez peut-être tous les jours sans savoir dans quelles conditions elle a été extraite.


Les forçats du calcaire, un sujet « Regard » paru dans le magazine GEO de juin 2019 (n°484, Mongolie).