Une interview de Valérie Masson-Delmotte

Paléoclimatologue et coprésidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Valérie Masson-Delmotte « est une vigie des climats passés et une veilleuse du climat futur« .

Extrait d’un entretien publié par la magnifique revue Reliefs en 2019 (revue Reliefs n°10, Lacs, pp. 20-29).

« ReliefsVous vous êtes beaucoup intéressée au Groenland…

Valérie Masson-Delmotte – J’y ai participé à deux campagnes de carottage. La première en 1997, juste après ma thèse, et la deuxième en 2008. Deux mois et demi au milieu de la calotte glaciaire avec des chercheurs d’une quinzaine de pays différents. Une expérience humaine extraordinaire parce que c’est vraiment une vie isolée, avec un but précis, une lourde charge de travail. Chacun a un rôle à jouer.

Ces régions polaires sont-elles des sentinelles climatiques ? 

La mémoire du climat polaire et de la composition de l’atmosphère gît dans les glaces à l’échelle humaine comme sur le temps long. Les régions polaires connaissent des phénomènes d’amplification, de rétroaction particulièrement forts et le réchauffement climatique y est plus prononcé. La dynamique de l’atmosphère, les courants marins, la glace de mer, la banquise interagissent avec le climat de toutes les autres latitudes. Et puis il y a la beauté de la nature, les lumières, la vie précieuse. Et l’admiration pour un mode de vie remarquable, celui des peuples arctiques qui affrontent des conditions hostiles avec une capacité d’adaptation sidérante. (…) La fonte de la calotte du Groenland contribue à l’accélération du rythme de montée du niveau des mers. Et l’île est un laboratoire de ce que peut être un développement soutenable.

En quoi ? 

La résilience y est un enjeu particulièrement important, avec les sols qui dégèlent, les bouleversements des écosystèmes terrestres et marins. Et on y trouve aussi des exemples de développement non soutenable : des mines qui ont entraîné un boom économique et puis un déclin complet à l’épuisement des ressources; des phases de rente sur la pêche à la morue, puis d’effondrement, quand la ressource s’est épuisée et que les stocks se sont déplacés; et des questions sur le développement social et économique, avec une volonté forte d’émancipation vis à vis du Danemark; la recherche de nouvelles ressources économiques et d’emplois, qui peuvent menacer la préservation de l’environnement et de la culture groenlandaise, par exemple le développement du tourisme ou de nouvelles activités d’exploitation du sous-sol… Les Groenlandais disposent de formidables ressources renouvelables et fossiles non encore exploitées, que vont-ils choisir d’utiliser ? Des enjeux géostratégiques autour de l’arctique se jouent aussi là. »

En savoir plus avec ce portrait réalisé par France Culture en 2018, « Valérie Masson-Delmotte, climatologue tempérée ».

Valérie Masson Delmotte carottage
Valérie Masson-Delmotte (au premier plan) lors d’une mission (NEEM) de carottage au Groenland en 2008 Crédits : C.Morel/Our Polar Heritage

 

Valérie Masson-Delmotte
Valérie Masson-Delmotte, dans son bureau du CEA, à Saclay (Essonne) Crédits : Boris LoumagneRadio France