La géographie des migrations est aussi une géographie culturelle, dont témoigne très bien la musique. C’était l’objet d’une exposition passionnante organisée en 2019-2020 au musée national de l’histoire de l’immigration à Paris, portant sur les villes de Londres et de Paris entre 1962 et 1989.
« Les migrations infusent nos vies », explique Angeline Escafret-Jublé, une des commissaires de l’exposition, sur le plateau de France 24 (vidéo ci-dessous).
Extraits ci-dessous de la présentation de l’exposition sur le site du musée de l’histoire de l’immigration :
« À la fin du XXe siècle, la musique révèle à Paris et à Londres, comme nulle part ailleurs, la façon dont les mouvements migratoires ont façonné l’identité de ces deux anciennes capitales d’empires coloniaux. De l’indépendance de la Jamaïque et de l’Algérie en 1962, à la fin des années 1980, l’exposition explore trois décennies durant lesquelles Paris et Londres sont devenues des capitales multiculturelles. Avec la musique, des générations de l’immigration postcoloniale ont exprimé leurs espoirs et leurs aspirations.
À travers la production, la diffusion et la réception de musiques populaires comme le rock, le reggae, le punk, le ska, le raï, l’afrobeat ou le rap, une histoire parallèle de Paris et Londres est présentée en mettant l’accent sur les expériences individuelles et la jeunesse. Bien que les contextes nationaux britanniques et français soient très différents concernant les questions d’immigration, les revendications peuvent être similaires, notamment dans le domaine de la lutte contre le racisme. À Paris comme à Londres, la musique a permis une large diffusion d’idées qui ont profondément fait évoluer les mentalités. »

Un groupe emblématique : The Specials
« A la fin des années 70, dans l’Angleterre de Thatcher qui s’enfonce dans la crise et l’austérité, The Specials constituent une bouffée d’air frais pour la jeunesse rebelle. Biberonné à la musique jamaïcaine, ce groupe pionnier du ska anglais à l’urgence punk est une formation multiraciale, une rareté à l’époque. Propulsées par des rythmes fièvreux, leurs chansons parlent de racisme, de chômage, de politique et de filles mères (« Too much too young », adapté du « Birth Control » de Lloyd Charmers), portant un message d’unité contagieux.
Les petits gars de Coventry, particulièrement prisés en live pour leur énergie communicative, affrontent régulièrement à leurs concerts les skinheads d’extrême-droite venus en découdre. De quoi nouer un lien à la vie à la mort avec leur public. »
En savoir plus sur The Specials avec cet article de France TV Info ici.
« Et puis, Londres ne serait pas Londres et Paris ne serait pas Paris sans l’afro-beat de Fela Kuti, le makossa de Manu Dibango, le R&B de Soul II Soul, le raï vintage de Cheikha Rimitti, le ska de Desmond Dekker, le blue beat de Millie Small, la chanson algérienne de Noura, le punk sans frontière de Rachid Taha, l’asian underground d’Asian Dub Foundation, le chaâbi de Dahmane El Harrachi, la poésie dub de Linton Kwesi Johnson, le zouk de Kassav’, la house de A Guy Called Gerald, le ghiwani de Nass El Ghiwane, le yéyé oriental de Jacqueline Taïeb, l’afro-jazz de Ray Lema, le reggae militant de Steel Pulse, le rap engagé de Passi, la kadans des Vikings de la Guadeloupe, le hip hop de Sidney, le reggae légendaire de Bob Marley, le raï moderne de Khaled, le rock métissé des Négresses Vertes, le rhythm’n’blues de Vigon, la juju music de King Sunny Ade…
Ces rythmes venus d’Afrique, des Caraïbes, des Antilles, d’Inde ont une influence déterminante sur la musique d’aujourd’hui. Outre le succès actuel du grime, du dubstep, de l’afro-trap et autre afro-punk, c’est la dimension globale de la musique qui s’est forgée il y a plus de trente ans, en résonnances avec les évolutions sociales et politiques, les transformations urbaines et les flux migratoires successifs qui ont marqués l’époque.« (Musée de l’histoire de l’immigration , présentation de l’exposition Paris-Londres, Music Migrations, 1962-1989).: