Enseigner – En hommage à Samuel Paty

L’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire et de géographie, vendredi 16 octobre, pour avoir fait son travail d’enseignant, est absolument terrifiant et ignoble.

« Un professeur a été assassiné parce qu’il enseignait la liberté d’expression à des élèves de 13 ans. On tremble en écrivant ces mots qui sonnent comme la relation d’un drame survenu dans un pays lointain ou à une époque révolue. Cela s’est passé en France vendredi dernier, le 16 octobre. Comment en est-on arrivé là ? La question ne peut pas et ne doit pas être évacuée« , écrit Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, dans un édito intitulé « Ne plus mourir d’enseigner ».

Place de la République, à Paris, le 18 octobre 2020. Rassemblement pour défendre la liberté d’expression, après l’assassinat d’un enseignant d’un collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Laurence Geai Pour « Le Monde »

Voici le communiqué publié par l’association des professeurs de géographie en classes préparatoires (AP-Géo) :

« Samuel Paty, professeur d’histoire et de géographie a été assassiné vendredi 16 octobre pour avoir fait son travail d’enseignant. Nous saluons la mémoire de notre collègue, chacun d’entre nous aurait pu se trouver à sa place. Au nom des professeurs d’histoire et de géographie des collèges, des lycées et des classes préparatoires, nous tenons d’abord à exprimer nos sentiments à sa famille, à ses proches et à la communauté éducative de son établissement.

Cet acte barbare inqualifiable nous plonge dans l’effroi mais ne nous laissera pas sans voix.

Nous tenons à affirmer avec la plus grande fermeté notre attachement à un enseignement qui ouvre les élèves à l’esprit critique et à la liberté du jugement individuel. C’est une condition indispensable à la réalisation d’un régime démocratique  et d’une société apaisée.

Cela implique un travail de fond dans les classes à tous les niveaux. Nous avons la conviction que les enseignants sauront plus que jamais continuer àenseigner dans cette direction avec le soutien de l’institution.

Nous ne reculerons pas ! »

L’économiste Bernard Maris, qui fut lui aussi victime du fanatisme et de la haine, assassiné en janvier 2015 à la rédaction de Charlie Hebdo, avait écrit en 2004 un texte très percutant sur la question « Que faut-il enseigner ? ». En voici quelques extraits :

« Que faut-il enseigner ?

On me reproche souvent :”Mais vous, totalement critique, qui n’arrêtez pas de fustiger l’économie et les économistes, que pouvez-vous bien enseigner ? » Je réponds « d’abord, l’histoire économique ». Et avec quel plaisir !

Les faits économiques. On peut raconter l’affaire Enron de deux façons :

1) comme une affreuse histoire de malhonnêteté, de transparence non respectée, de dissimulation, d’asymétrie d’information, et envoyer à la face des ignorants une volée d’équations de la théorie de l’information. On peut geindre sur « l’éthique des affaires », sans se rendre compte qu’on pleurniche sur un oxymore ;

2) on peut aussi raconter l’histoire d’Enron – et elle devient passionnante – comme celle de la politique énergétique des Etats-Unis et des relations du Parti républicain avec certains milieux d’affaires ; également comme l’histoire des pratiques bancaires, des analystes, des agences de notation, et même des journalistes ! Il y a de quoi faire !

Ensuite, un économiste doit raconter l’histoire sociale.

Evoquer l’économie indépendamment de la sociologie, de la psychologie, de l’anthropologie est un leurre pour laisser croire que l’économie est la matrice, la science supérieure, le moule explicatif dans lequel doit se dissoudre la complexité sociale. »

Bernard Maris, Antimanuel d’Economie, tome 1 (2004), introduction, page 5