Sur les quais

Depuis le tournage du chef d’oeuvre d’Elia Kazan, Sur les quais, en 1953 (le film sortit aux Etats-Unis l’année suivante), le monde du travail et l’organisation spatiale des grands ports a bien changé. La révolution du conteneur et l’accélération de la mondialisation sont passées par là… Mais les thèmes évoqués par le film sont toujours d’actualité : lieux d’échanges, les grands ports peuvent aussi être des lieux de trafics, des lieux de pouvoir et d’affrontement, de conflits d’acteurs et de conflits d’usages.

Sur les quais Kazan Brando 01
Marlon Brando, héro du film de Kazan Sur les Quais

« Le scénario de Sur les quais, comme le précise le générique, « est inspiré de faits réels », révélés au grand public par le journaliste Malcolm Johnson dans une série d’articles, Crime on the Waterfront, parus dans The New York Sun en 1949. Le journaliste dénonçait l’existence d’un syndicat tombé aux mains d’un gang mafieux opprimant les dockers du port de New York » (La Cinémathèque).

La Cinémathèque français consacrait en novembre 2018 une rétrospective à Elia Kazan à retrouver ici.

Le commissaire Jean-François Gayraud, spécialiste de la mafia,  le présente ici dans un article sur les liens entre mafia et grands ports aux Etats-Unis :

Elia Kazan réalise ainsi en 1953 un chef d’œuvre, sorti au cinéma en 1954, On the Waterfront, qui recevra huit Oscars. Marlo Brando incarne le rôle d’un jeune docker, Terry Malloy, dont le frère Charley est un avocat « marron » travaillant pour le compte de Johnny Friendly (Lee J. Cobb), patron du syndicat des dockers et gangster avéré, rackettant les ouvriers en toute impunité. Impliqué involontairement dans un meurtre, Terry Malloy se lie avec la sœur (Eva Marie-Saint) de la victime qui lui ouvre alors les yeux : il décide d’affronter Johnny Friendly et de briser la loi du silence . Il s’appuie pour cela sur le père Barry (Karl Malden), inspiré du personnage bien réel du père John Corridan. Le ressort profond du film réside dans un dilemme moral : doit-on dénoncer ? Cette question morale prend une résonance très particulière dans une Amérique alors rendue hystérique par le maccarthysme et la « chasse aux sorcières » communistes. D’autant que Elia Kazan avait accepté de témoigner (avril 1952) devant la redoutable « commission sur les activités anti-américaines » (HUAC), chargée de découvrir les agents communistes, y compris à Hollywood : il avait dénoncé onze anciens « camarades » afin de prouver sa bonne foi et son patriotisme retrouvé.

À l’époque où Elia Kazan et Budd Schulberg œuvraient à Hollywood, il existait une règle non écrite en vertu de laquelle les films devaient avoir une happy end. Elia Kazan consent à respecter cette facilité artistique : dans le film, les dockers se révoltent contre les dirigeants corrompus du syndicat. (…) Aujourd’hui encore, le film de Kazan fait partie intégrante de la conscience et de la culture des salariés des docks. Quand, au début du XXIe siècle, une enquête de grande ampleur est lancée sur l’infiltration mafieuse dans les ports, son nom de code est « Operation Brando » !