Un Conseil des Ministres sous l’eau : l’initiative lancée le 17 octobre 2009 par Mohamed Nasheed, le président des Maldives à l’époque, avait fait le tour du monde. A quelques jours de la Conférence de Copenhague sur le climat (COP 15) il s’agissait de plaider la cause des petits Etats insulaires face à la montée des eaux provoquée par le réchauffement climatique.
« Protocole oblige, le président Mohamed Nasheed a plongé le premier, suivi de ses ministres, en combinaisons et bouteilles. Une dizaine de ministres ont pris place à six mètres de profondeur autour d’une table en forme de fer à cheval. Très symboliquement, ils ont adopté une résolution appelant à une action mondiale pour la réduction des émissions de CO2. Pour cette plongée, organisée près de l’île Girifushi, à 25 mn en bateau de la capitale de l’archipel, Male, les ministres, qui s’étaient entraînés depuis deux mois, étaient accompagnés de leurs moniteurs. » (Le Monde,17 octobre 2009).
Dans un article intitulé « Le jour où les Maldives seront englouties« , le magazine Usbek-et-Rica raconte l’évènement et lui donne deux suites sous forme de deux récits de « prospective-fiction » se déroulant chacun le 10 janvier 2062 : l’un à Kânyâkumâri, Nouvelles Maldives, l’autre à La Haye aux Pays-Bas.

Archipel de l’océan Indien constitué de près de 1200 îles éparpillées sur 800 kilomètre, (200 seulement sont habitées), les Maldives sont l’un des pays les plus vulnérables au réchauffement climatique : 80% des terres se situent à moins d’un mètre au dessus du niveau de la mer.
Le tourisme est la principale ressource : misant sur ses plages paradisiaques de sable blanc et sa mer bleu turquoise, le gouvernement autoritaire a choisi dans les années 1970 de transformer certaines îles en îles-hôtels, réservées à des touristes fortunés, comme l’explique ici le géographe Jean-Christophe Gay.
La gestion des déchets pose de redoutables défis. A écouter sur France info : un reportage sur l’île poubelle de Thilafushi.
Et une description détaillée réalisée par la journaliste Laurence Defranoux (Libération, « Les Maldives, malades du plastique« , 2 juin 2018).
Extraits :
« La gestion des déchets est un fléau aux Maldives, petite république de 1 200 îles étirée sur 800 kilomètres dans l’océan Indien. Tous les soirs, des barges chargées de 600 tonnes d’ordures quittent le port de Malé, et parcourent les 6 kilomètres qui séparent l’île-capitale de l’île-poubelle, Thilafushi. Selon Shoko Noda, coordinatrice des Nations unies pour l’archipel, chaque jour, 280 000 bouteilles plastiques sont utilisées rien qu’à Malé, et très peu seront recyclées. Depuis 1992, tout ce que le pays produit de déchets, y compris le contenu des poubelles de tri où les touristes séparent sagement canettes, papiers et bouteilles, arrive en vrac sur l’immense décharge de Thilafushi, qui s’agrandit d’année en année. Une banquise de polystyrène et de vieux bidons flotte sur les eaux noirâtres et huileuses du lagon, autrefois turquoise. A l’arrivée des barges, des ouvriers mettent de côté à la main le verre, les batteries, les métaux, pataugeant dans les détritus sous une chaleur torride.
Seul un infime volume du plastique sera vendue en Inde ou au Sri Lanka pour être recyclé. Une partie sera utilisée comme remblai pour accueillir quelques sites industriels construits sur l’île. Le reste rejoint les collines d’ordures fumantes à perte de vue, où des pelleteuses s’activent dans les vapeurs toxiques, des lambeaux de plastique multicolore fondu entre les dents. Par vent d’ouest, le grand panache de fumée noire rend irrespirable l’air de la capitale, et les émanations de plastique brûlé chatouillent les narines des touristes installés dans les hôtels 4 étoiles alentour.
En plus des 410 000 habitants maldiviens, environ 100 000 ouvriers bangladais travaillent sur l’archipel dans la collecte des déchets, le commerce, le tourisme, la pêche et dans la construction incessante des gratte-ciel de Malé. En plein développement économique, le pays, qui ne produit quasiment rien, importe tous ses produits manufacturés, notamment de Chine. Abandonnés çà et là, les emballages usagés bloquent les canaux d’évacuation pendant la mousson, retiennent l’eau croupie où pullulent les moustiques et menacent l’écosystème corallien, déjà fragilisé par le réchauffement climatique. «La pollution est avant tout visuelle, mais elle rend aussi l’environnement plus dangereux pour les espèces sauvages. De nombreuses tortues sont prises dans des filets fantômes (à la dérive, ndlr), et des animaux ingèrent du plastique qui peut bloquer leur système digestif, explique Thomas Le Berre, consultant marin qui gère un centre de réhabilitation pour tortues. Et je n’ai pas l’impression que le phénomène va en s’améliorant.»
Moins spectaculaire que dans la capitale, la situation est aussi préoccupante dans le reste de l’archipel. Dans les paradis artificiels que sont la centaine d’îles-hôtels, qui accueillent environ 1,3 million de touristes par an, tout est impeccable, et les déchets évacués en ferry vers Thilafushi. Mais sur les 200 îles habitées, des bouteilles vides flottent à la surface des ports, des couches-culottes dérivent entre deux eaux, des sacs plastiques s’accrochent à la barrière de corail, jetés par les habitants ou déposés par les courants océaniques. En 2015, les Maldives ont importé près de 50 millions de sacs plastiques non dégradables (contre 86 millions en 2010), et sur les marchés, la moindre bricole est enveloppée dans un de ces fins sachets colorés.
En divehi, la langue locale, le terme «gondu» signifie à la fois «plage» et «poubelle». Durant des siècles, les habitants ont rejeté à la mer coques de noix de coco, feuilles de bananier, restes de poisson et de fruits. Porté par le tourisme, le chapelet d’atolls a connu un développement économique rapide en trois décennies, et les mentalités n’ont pas eu le temps de suivre. «Les îles n’ont ni l’équipement, ni les bonnes méthodes, dénonce Ali Rilwan, fondateur de Blue Peace, la plus ancienne ONG maldivienne de défense de l’environnement. Les gens jettent leur vieille porcelaine chinoise pour acheter des assiettes en plastique. Les déchets sont une bombe toxique dans l’océan.»
Des ONG locales, comme Save The Beach qui organise des opérations de nettoyage, ou le programme des Nations unies pour le développement, tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme sur les risques que font peser ces déchets sur les 1200 espèces présentes dans l’écosystème marin maldivien. Mais les usines locales de Coca-Cola ou d’eau désalinisée continuent à embouteiller dans du plastique et les cocktails et les noix de coco se sirotent partout à la paille à usage unique. Pour compenser le déficit chronique de l’archipel en eau potable, aggravé par la modification des modes de vie, la hausse du niveau de la mer, la pollution des nappes phréatiques et la pression démographique, les ferries qui font la liaison entre les îles sont chargés de packs d’eau. »