Valerio Vincenzo est un photographe italien, fin connaisseur des enjeux du réchauffement climatique et de l’aménagement des littoraux, qu’il a documentés aux Pays-Bas où il a vécu plusieurs années (cf. le reportage publié dans le magazine Géo en janvier 2019). C’est sur le thème des frontières qu’il a également beaucoup travaillé, en plaidant pour une Europe ouverte, loin des barbelés et de la crise des migrants dont les littoraux méditerranéens sont fréquemment la terrible illustration.
Voici quelques extraits de son ouvrage intitulé Borderline, Les frontières de la paix publié en 2017 aux éditions Lanoo, qui présente 150 photos prises depuis 2007 le long des frontières européennes. On peut y voir, entre autres, des littoraux traversés par des frontières qu’on pourrait qualifier de paisibles : quasiment invisibles car non matérialisées (ou presque). Quelques exemples ci-dessous.





Le magazine Polka lui consacrait en mai 2018 un article intitulé « Pour une Europe sans frontières : le plaidoyer en images de Valerio Vincenzo », dont voici quelques extraits :
Depuis 2007, l’Italien Valerio Vincenzo a traversé plus de 1.000 fois ce qu’il appelle “les frontières de la paix” entre les pays européens. La crise des migrants vient conforter le sentiment de ce photographe qui vit entre la France, l’Italie et les Pays-Bas: l’Union doit s’ouvrir pour (sur)vivre.
“Tout a commencé avec la photo de Cartier-Bresson d’un poste de douanes à Bailleul, dans le Nord. J’ai voulu le retrouver. Il était abandonné. C’était en 2007. J’habitais en France à ce moment-là, je suis parti de la frontière avec la Belgique, puis j’ai zigzagué jusqu’à Menton, près de l’Italie. J’ai d’abord travaillé sur les frontières terrestres de l’espace Schengen, soit 16.500 kilomètres, à une époque où l’on ne parlait jamais de ces accords qui abolissent les contrôles.
Puis, à partir de 2014, je me suis rendu aussi dans les pays de l’Union européenne qui n’étaient pas dans Schengen. Ce qui m’intéressait et m’intéresse toujours, ce sont les frontières des pays en paix. Car, quand on dit ‘frontière’, on pense barbelés, douanes, murs. J’ai voulu donner une autre iconographie à ce mot.
En 1995, j’avais vécu une expérience assez traumatisante. Je suis Italien, j’étais venu en Erasmus en France. Pour renouveler ma carte de séjour, j’avais été confronté à un système kafkaïen. En 1997, je suis revenu dans l’Hexagone pour travailler. Schengen était passé par là: je n’étais plus un étranger mais un Européen. J’ai aussi voulu raconter ça.
Savez-vous qu’en Europe, avant la Première Guerre mondiale, il n’y avait pas de passeport? On pouvait circuler librement. Stefan Zweig le raconte très bien dans ‘Le monde d’hier’. Mais pendant la guerre, on en a instauré temporairement… Et on en est encore là.
Aujourd’hui, quand on évoque un monde sans frontières, on est considéré comme un utopiste, on est étiqueté activiste politique d’extrême gauche. Pourtant cette utopie, même menacée, est bien réelle dans l’Union européenne. Mes photographies sont une excuse pour le rappeler.
Je suis économiste de formation. Jusqu’à mes 30 ans, c’était mon métier. Je ne suis pas trop mal placé pour dire qu’un monde sans frontières est une évidence économiquement. Si on ouvrait tout demain, le PIB mondial augmenterait de 40% au minimum. C’est donc bon pour les biens comme pour les hommes. Les pays qui sont dans Schengen ont d’ailleurs vu leurs échanges commerciaux augmenter de 10 à 15%.
La crise des migrants actuelle n’est pas une crise de l’espace Schengen. Dans l’histoire de l’humanité, une des plus grandes migrations est celle qui a peuplé les États-Unis. Quelque 55 millions d’Européens ont traversé l’Atlantique entre 1840 et 1914. Je défie quiconque de me montrer que cette émigration a eu un impact négatif sur la nation qui est devenue la plus grande puissance mondiale!
En Europe, des milliers de gens sont morts pour la protection de certaines frontières. Dresser un mur, un rideau de fer ou faire une guerre, à quoi cela a servi? Les Etats ont besoin d’immigration: l’histoire comme les chiffres le prouvent. Et l’Union européenne est l’endroit du monde qui en a le plus besoin. Sa pyramide démographique est un vrai cauchemar statistique!
On devrait payer pour faire venir des gens et on paye pour les renvoyer chez eux! C’est une aberration. Les hommes et les femmes politiques d’aujourd’hui font du ‘court-termisme’. On héritera de leurs fautes.”